Gérald Bloncourt nous a quittés à l’âge de 91 ans. Peintre, poète et photographe né à Haïti et installé en France depuis la fin des années 1940, cet homme engagé a été le grand témoin de son temps. Ses photos racontent un demi-siècle de mémoire ouvrière et immigrée. Son regard acéré a immortalisé et éclairé un grand pan de l’histoire portugaise des années 60-70.
Les funérailles de Gérald Bloncourt ont eu lieu lundi 5 novembre à Paris au crématorium du cimetière du Père Lachaise. La foule était venue nombreuse en cette belle journée d’automne pour rendre hommage à ce grand monsieur qui nous a quittés le 29 octobre dernier, à quelques jours de son 92 ème anniversaire. Pendant la belle et très émouvante cérémonie, sa vie et son oeuvre de ont été évoquées à travers les témoignages de personnalités politiques, de poètes haïtiens et de sa femme, Isabelle. On a entendu la puissante voix de Gérald déclamer en musique l’un de ses poèmes les plus poignants parlant de Haïti. Et puis, des images de Gérald entouré de sa famille et de ses amis ont été projetées sur un écran, notamment une vidéo réalisée par sa fille qui montrait son dernier voyage effectué dans son île natale, où on le voit en totale symbiose avec ce peuple haïtien qu’il aimait tant.
Enfin, comme l’a si bien dit Isabelle, Gérald est parti avec les honneurs dans un cercueil rouge, décoré de ses œuvres par ses filles et une amie.
Le photographe de l’immigration portugaise
En 2014, j’ai eu la chance de rencontrer le fameux photographe de l’immigration portugaise dans les années 60-70, celui qui a su si bien montrer au grand jour la souffrance de centaines de milliers de personnes qui ont quitté leur pays clandestinement pour fuir la dictature, la guerre et la misère et qui se sont retrouvées embourbées dans les grands bidonvilles de la région parisienne. Ses photos font le tour du monde lusophone, d’exposition en exposition, de musée en musée, de pays en pays.
Gérald Bloncourt a été le témoin privilégié de l’immigration portugaise dans les années 60. Tout a commencé lorsqu’il est allé prendre en photo les travailleurs immigrés portugais qui construisaient la Tour Montparnasse. Il a été frappé par la précision dont ils faisaient preuve, par la fierté et l’humilité de ces gens affables. Aussi, il a voulu voir où habitaient ces étrangers qui lui ressemblaient tellement, les descendants des grands navigateurs qui le faisaient tellement rêver. Sa surprise fut grande lorsqu’il arriva dans le bidonville de Champigny Sur Marne, et qu’il découvrit ces cabanes faites de brics et de brocs qui s’étendaient à perte de vue. Alors qu’il se promenait dans les allées boueuses du bidonville armé de son appareil photo, quatre Portugais sont venus vers lui et l’ont bousculé en lui demandant ce qu’il faisait là, le prenant pour un policier en civil ou un agent de la Pide, puis, ils l’ont conduit jusqu’au responsable qui se trouvait dans une baraque. Le chef du bidonville n’était autre qu’un syndicaliste de sa connaissance. Les hommes se sont assis et ils ont sorti une bouteille de porto qu’ils gardaient pour une grande occasion. Grâce à cette rencontre, le photographe a pu se déplacer librement dans le bidonville et prendre en photo des scènes de la vie quotidienne et des portraits saisissants des gens des baraques. Malgré leurs conditions de vie misérables, toutes ces personnes restaient dignes, soignaient leurs petites maisons comme s’il s’agissait de palais. Il a voulu montrer tout cela, pour que les autorités agissent, et pour protester contre le racisme dont ils étaient victimes. Le photographe, en colère contre cette injustice, s’est rendu au Portugal pour comprendre pourquoi ces centaines de milliers de personnes acceptaient leur sort sans rien dire et ce qui les avait amenés à quitter leur pays.
Au Portugal, il visita les bidonvilles de Lisbonne, les mêmes qu’en France, il alla dans les petits villages désertiques du nord du pays, où il ne restait plus que les vieux et les femmes. Il prit en photo toute la misère du Portugal, le dénuement social que la dictature cachait au reste du monde, la peur de la Pide, la police secrète tentaculaire qui avait des informateurs dans le moindre petit endroit du Portugal, qui se lisait dans les regards inquiets des gens. Puis, il rentra en France avec les pellicules photos cachées dans son dos. A l’aéroport, les douaniers saisirent les pellicules contenant des images « touristiques » qu’il avait volontairement laissées enveloppées dans du linge sale, mais pas celles accrochées à sa peau avec du sparadrap.
Il retourna plusieurs fois au Portugal pour mieux appréhender cette saignée de toute une population. Il fit la traversée des frontières clandestinement comme s’il était lui-même un émigré portugais. Tous ces témoignages bouleversants, toutes ces photographies en noir et blanc, devraient apparaître dans les manuels d’histoire du Portugal.
Et puis un beau jour, ce fut la révolution des œillets. Et, Gérald Bloncourt prit le même avion que les exilés politiques portugais qui se trouvaient en France. Tous chantèrent des chants libertaires en sautant sur leurs pieds, tellement fort qu’ils ont presque fait tomber l’avion. Arrivé au Portugal, ils furent accueillis par une foule en liesse. C’est dans les rues de Lisbonne en folie, qu’il prit des centaines de photos du Portugal libre. Il n’avait qu’à appuyer sur le déclencheur, tellement les scènes de joie, impensables il y a quelques jours seulement, étaient belles et historiques.
Le 10 juin 2016, à Champigny-sur-Marne, au moment des célébrations du jour du Portugal, de Camões et des communautés portugaises, Marcelo Rebelo de Sousa, le président portugais, a décoré Gérald Bloncourt avec la médaille de Commandeur de l’Ordre de l’Infante Dom Henrique, reconnaissant ainsi le rôle prépondérant qu’a eu le photographe dans la défense de la dignité humaine de la communauté portugaise de France.
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