Histoire

MORTS POUR LA FRANCE

Je pars pour la guerre. Je laisse ma terre derrière-moi. Son goût amer me manque déjà. Si je meurs, ma terre mourra aussi, moi atteint par une balle, et elle écrasée par le chagrin. Le facteur vient de m’apporter ma lettre de mobilisation. Et dire que je n’ai jamais quitté cet endroit. Mon plus grand voyage, je l’ai fait pour aller à la foire aux bestiaux de la ville voisine. C’est une drôle de façon de visiter le Monde, que d’aller se faire enterrer vivant dans un trou. Les trous, c’est fait pour les rats, pas pour les hommes, ou seulement, lorsque le crépuscule tombe sur leur vie.
Nous avons posé le pied à terre, un pied dans la tombe. Le bateau, parti de Lisbonne dans le plus grand secret, a accosté à Brest, en France. La traversée a été longue et interminable. Serrés comme des sardines, nous avons voyagé debout dans un navire de guerre surchargé. Déjà rongé par la saudade et la peur de l’inconnu, j’ai déserté mille fois dans ma tête. Le départ a été insupportable. Mon dieu que c’est dur de dire adieu à quelqu’un qu’on aime. Les baisers salés ont le goût de l’amertume. J’ai regardé ma belle de toutes mes forces pour emporter avec moi son visage dans mon coeur. Au revoir mon amour, peut-être à jamais, mais je t’aimerai toujours. Adieu ma terre, adieu mon petit village, adieu mon pays. Portugal. Ce grand arbre aux racines profondes et anciennes dont la sève coule dans mes veines, tu es le sang de mon sang. Que j’ai hâte de revenir labourer cette terre qui m’a vu naître.
Je pars pour la guerre, pour aller combattre les Allemands aux côtés des Alliés. Une guerre fratricide qui déchire l’Europe et qui divise le Monde. Une lutte meurtrière pour une Liberté qui est tellement dure à gagner.
Les Français nous ont accueilli les bras ouverts lorsque nous sommes descendus du bateau. La fanfare a joué l’hymne portugais si bien que j’en avais les larmes aux yeux. Nous sommes tellement fiers, habillés avec nos uniformes bleus tout neufs, de venir défendre la France, notre amie.
Nous avons pris la direction des Flandres françaises, dans le nord du pays. C’est là que nous allons combattre, sous le commandement des Anglais.
Après plusieurs mois passés terré dans des tranchées peu profondes, à ramper comme un animal, à manquer de nourriture, à voir mes camarades mourir autour de moi, je pourrais raconter, plus tard, si je m’en sors vivant, que j’ai connu l’enfer. Il est fait des flammes des canons qui nous bombardent jour et nuit, de la brume jaunâtre des gaz qui nous brûlent les poumons et des fleuves de sang qui coulent le long de ces sillons de la mort.
Nous sommes près de 55000 hommes à avoir été mobilisés pour cette guerre, et à avoir fait partie du Corps Expéditionnaire Portugais. Nous somme des milliers à avoir bravé le grand froid de l’hiver de 1917, à avoir vécu dans des conditions épouvantables, à avoir ressenti la peur, la désolation et l’épuisement, physique et moral. Malgré toutes les dures épreuves que nous avons traversé, nous avons combattu sur les lignes de front avec courage et héroïsme, nous avons défendu ce petit bout de terre française qui nous a été confié comme s’il s’agissait de notre propre terre. Délaissés par nos supérieurs, certains d’entre nous ont déserté, d’autres ont été faits prisonniers par les Allemands. Beaucoup d’entre nous ont été blessés, défigurés, ou abîmés par les gaz meurtriers. Beaucoup d’entre nous sont morts. Beaucoup trop.
Pourvu que notre mémoire meurtrie soit honorée à l’avenir. Pourvu que tous les livres d’histoire racontent un jour nos exploits. Pourvu que tous ces hommes ne soient pas morts pour rien.

En hommage à tous les soldats portugais de la Grande Guerre, qui ont combattu pour la liberté, et à tous ceux qui sont morts, et pour le Portugal et pour la France

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