CINÉMA

SOLEIL BATTANT

Pour les vacances, Gabriel et Iris retournent dans une maison de famille au Portugal avec leurs filles Emma et Zoé, d’irrésistibles jumelles de 6 ans. Au cœur d’un paysage solaire, des baignades et des rires des petites, le passé du couple se réveille. Emma est dépassée par un secret trop grand pour elle, qu’elle n’a pas le droit de partager avec sa jumelle.

UN FILM DE CLARA ET LAURA LAPERROUSAZ
AVEC Ana Girardot, Clément Roussier, Agathe Bonitzer

SORTIE NATIONALE le 13 décembre 2017

NOTE D’INTENTION
L’origine du film
Nous avions bien sûr une nécessité très forte à faire ce film, à parler de cette famille qui a été touchée par une tragédie.

Nous avons décidé tôt dans l’écriture de prendre à bras le corps ce sujet en nous plaçant à notre propre niveau et de partir de ce qu’on avait vécu. Partir de l’intime, de ce qu’on connaissait si bien, c’est-à-dire de ce que pouvait représenter pour des enfants le fait d’être l’une après l’autre investies du passé familial, nous semblait plus juste que de démarrer le récit avant la naissance des jumelles.

Pour autant, nous sommes très attachées au principe de circulation du point de vue dans ce film. Nous avons choisi d’avoir quatre personnages principaux : les petites filles et leurs parents. Nous voulions comprendre les failles, les désirs et les peurs qui les animent au fur et à mesure de ce qu’ils vivent, apprennent, disent et taisent. Nous avons essayé de rentrer dans la singularité de chacun des membres de cette famille.

L’Eden puis la chute
Nous avons choisi de situer notre film dans un véritable Eden pour en faire le lieu de la chute. Le cadre est idyllique et sauvage. Iris, Gabriel, Emma et Zoé sont plongés dans une chaleur qui les pousse à entretenir un rapport très sensoriel à leurs corps et aux éléments – danse, jeux dans la rivière, promenade au crépuscule, souffles et étreintes. La langueur et la joie alternent quand la blessure se rouvre, infuse et vient hanter chacun des personnages. Les symptômes, les tensions et le malaise s’installent jusqu’à ce qu’ils éclatent dans l’ardeur de l’été portugais.

SOLEIL BATTANT montre la chute et la reconstruction d’une famille. C’est un film sur la pulsion de vie, un film lumineux, plein d’amour.

Co-réaliser
Travailler à deux nous est apparu il y a quelques années comme une évidence. Nous partageons une même vision dès l’origine d’un projet et tout au long du processus de fabrication. Nous avons une telle connaissance de l’autre, de ses références, de la matière affective qui la constitue qu’il nous est possible de communiquer presque sans mots, d’avoir des intuitions communes sur le plateau sans avoir à batailler, ce qui est un précieux gain de temps. La répartition est égale, l’une comme l’autre peut aller parler aux acteurs, au chef opérateur ou au machiniste à la fin d’une prise, en sachant que le discours porté sera le même et que ce n’est pas un redoublement mais une façon de creuser une idée, un désir, une intention. On est habitées par les mêmes obsessions et le fait d’être sœurs nous autorise à exiger beaucoup l’une de l’autre, à chercher sans cesse les outils pour raconter une histoire.

Le Portugal et la référence au Western : le lyrisme des grands espaces
Tourner ce film au Portugal est arrivé tard dans le processus mais nous tient particulièrement à cœur. Ce pays nous a véritablement subjuguées. Nous avons choisi de réécrire le scénario pour faire de ce retour aux racines du père la découverte d’un pays pour les jumelles. La coupure de Gabriel avec ses origines à cause de l’accident est d’autant plus violente qu’il s’agit d’une terre étrangère et d’une autre langue qu’il n’a pas souhaité apprendre à ses filles. Cela nous semblait renforcer la narration et donner une profondeur au passé de cette famille.
Solliciter Teresa Madruga, l’actrice de DANS LA VILLE BLANCHE, TABOU ou LES MILLE ET UNE NUITS, VOLUME 2 : LE DESOLE, signifiait beaucoup dans notre cinéphilie. Nous avons depuis longtemps une grande admiration pour elle. Cela venait aussi s’inscrire comme un heureux hasard dans notre recherche de sens et de justesse par rapport à l’ancrage en Alentejo car Teresa a vraiment l’accent de cette région, où elle vit.

De même, la séquence des chants traditionnels a cappella est née d’une scène que l’on a vécue lors d’un déjeuner pendant la préparation de SOLEIL BATTANT. De vieux habitués se sont soudain mis à chanter avec une puissance qui nous a prises aux tripes. Il était impossible pour nous de repartir de l’Alentejo sans avoir rendu hommage à ces voix et nous avons imaginé une séquence les intégrant au récit.

Sur le plan visuel, la référence au western a été déterminante, notamment dans le choix de nos décors. Nous avions le désir très fort de donner à ce drame familial la dimension d’un film de paysages. Leur beauté solaire a aussi une charge inquiétante. Ces paysages sont porteurs d’une dramaturgie et d’une symbolique qui jouent sur les personnages. Nous avons tout de suite opté pour le cinémascope, capable de capturer l’immensité fauve des plaines et des vallées de l’Alentejo qui écrasent et perdent les hommes. Les éléments de décoration sont aussi marqués par cette influence. Les extérieurs ont leur portail à bétail en fer bleu, leur chaise à bascule sur la terrasse, leur corral et ses chevaux. Les intérieurs ont leur cheminée surmontée de trophées de chasses, leurs couvertures à carreaux bruns et leurs armes accrochées partout dans la maison.

La note western se retrouve aussi dans le côté Technicolor de SOLEIL BATTANT. Nous avons cherché à pousser les couleurs en termes de contraste et de saturation, mais aussi de brillance. Nous désirions avoir une image chaude même si elle reste toujours douce sur les peaux, jusque dans les extérieurs. Ça a été par exemple un vrai plaisir de cinéma de penser à LA PRISONNIERE DU DESERT en construisant le plan séquence dans lequel les silhouettes sombres d’Iris et Gabriel – occupés à regarder jouer les filles – se découpent sur les collines dorées.

Le western et le Portugal nous ont alimentées en termes de son également. Nous avons longuement travaillé sur le montage son et le mixage avec Obsidienne Studio qui avait déjà accompagné notre dernier moyen-métrage. Nous avons bâti un langage commun qui a permis d’explorer la dimension sensorielle et sauvage du film et de faire vivre ces territoires à la conquête desquels partent les petites filles. La musique originale, composée par Giani Caserotto, se devait donc de passer de l’intime aux grands espaces.

Nous avons utilisé la guitare portugaise, instrument emblématique du fado au son cristallin, pour jouer certains thèmes principaux. Sa sonorité exotique et évocatrice de la Saudade permettait de placer d’emblée l’univers acoustique du film au Portugal. Le pendant western de la guitare portugaise est amené par la guitare électrique, avec distorsion et delay à bande, qu’on voulait puissante et sale tout en gardant de la poésie ou une certaine tendresse. Gabriel, personnage auquel elle est d’abord associée, donne son côté rock au film.

Au cours de SOLEIL BATTANT la nature prend une place de plus en plus importante, les protagonistes nouent avec elle des relations profondes et mystérieuses. Il nous importait de faire exister ces moments de communion ou d’immersion dans la nature, avec une musique confinant parfois à l’étrangeté. La musique d’Eliane Radigue a servi de référence à ces paysages mentaux. Un quatuor à cordes a créé des drones (notes tenues), ce qui rend la matière sonore transparente et vivante. Les drones acoustiques ont leurs versions électroniques. Ces morceaux, moins statiques et très porteurs, ont pour fonction de libérer l’émotion à des moments-clés du film. Au fur et à mesure, ces intentions musicales se répondent et s’interpénètrent. Des thèmes passent de la guitare portugaise à la guitare électrique, et la guitare portugaise vient se superposer aux cordes, ou s’associe à la guitare électrique par exemple, à la toute fin du film pour évoquer la reconstruction de cette famille.

SOLEIL BATTANT est un drame intime que nous avons choisi de mettre en scène en embrassant une forme de lyrisme. Nous voulions que le socle émotionnel puisse entrer en résonance avec un onirisme visuel et sonore. C’est le cas par exemple pour la séquence d’Ophélie qui tente de conjuguer climax de la trajectoire d’Iris et recherche plastique. Il y a pour nous un élan, notamment dans le rapport qu’Iris et ses filles entretiennent aux paysages où elles accomplissent des rituels. Devenus lieux magiques, ils sont sacrés pour la jeune femme qui y adresse des prières silencieuses, ou féériques pour les jumelles et leur sorcellerie incantatoire. Car si nous nous sommes intéressées au visible, au réel, au sensuel, SOLEIL BATTANT est aussi habité par l’invisible : les traces du passé, ses symptômes et leurs traductions chez les personnages. C’est un film sur un secret, un film hanté, un film de fantôme.

Un Film pictural, stylisé mais pas déréalisé
– le travail de la caméra
En ce qui concerne le travail à la caméra, nous avons repensé les choses quand le tournage qui était prévu en France a basculé vers le Portugal. D’une caméra portée, toujours mobile, on a décidé d’aller vers une caméra plus stable, avec des mouvements plus lents, et de faire durer les plans. Il s’agissait pour nous de moins découper pour rendre compte de la chaleur et de son impact sur les corps. On a d’ailleurs intégré beaucoup de plans séquences à la narration. Nous tenions vraiment à ce que la caméra soit organique. C’est pour cette raison qu’après une longue recherche, nous avons sollicité le chef opérateur Vasco Viana. Avec lui, nous avons construit un langage assez sobre.

Lorsque les mouvements de caméra deviennent complexes c’est de façon quasi imperceptible. On a pu utiliser par exemple des travellings arrière combinés à des panoramiques qui ne se remarquent pas forcément, pour jouer sur l’inconscient du spectateur et créer une tension émotionnelle. Lorsque Iris quitte la maison de nuit, nous avons décidé que la caméra suivrait d’abord les mouvements du couple qui franchit la porte en étant déjà harnachée à la voiture sans que cela ne se voie, ce qui nous permet de poursuivre le plan et de rester avec la jeune femme quand elle conduit, d’entrer dans son désarroi à ce moment très particulier du récit. Il y a deux scènes que nous avons voulu tourner à l’épaule avec des mouvements vifs, pour leur donner un relief particulier à l’intérieur de la grammaire des plans (lorsqu’Iris et Gabriel sont sur le bateau et lors de la bataille).

– le clair-obscur
Si nous avons fait appel à Vasco Viana, c’est aussi car nous avions découvert et aimé son approche du clair-obscur dans MONTANHA de João Salaviza.

Nous envisagions non seulement de construire les extérieurs western comme des tableaux, mais aussi de travailler sur la pénombre des intérieurs qui donne à l’image son côté pictural. Nous avions un certain nombre de scènes de nuit, ce qui rendait crédible cette démarche. Et puisque la journée l’été au Portugal, les volets sont clos pour préserver de la chaleur, nous avons pu affirmer cette piste esthétique du film.

Nous voulions assumer une image très stylisée sans pour autant déréaliser, sans jamais mettre à distance le spectateur, car le rapport aux sources reste toujours simple et vivant. Et il y avait bien sûr un désir d’opposition et de complémentarité entre les extérieurs brûlants à l’immensité étourdissante de lumière et les secrets révélés dans l’espace intime, sombre et protégé de la chambre à l’heure de la sieste.

De même, dans la séquence du scanner et celle du bloc opératoire qui auraient pu être traitées de façon naturaliste avec une lumière scialytique à la froideur médicale, nous avons donné comme référence à Vasco les toiles du Caravage pour plonger les personnages dans l’ombre et le mystère.

Dialoguer avec Vasco a été une très grande joie. Et ce malgré les difficultés nombreuses et variées que l’on rencontre lors d’un premier long-métrage avec des enfants, des problèmes terribles de météo, une petite équipe et des moyens très réduits, qui n’ont pas tendance à faciliter la mise en scène… Vasco a compris nos aspirations et s’est battu jusqu’au bout à nos côtés.

Clara et Laura Laperrousaz

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