Parfois, les pierres parlent et nous racontent de belles histoires. Comme celle de l’affrontement entre la mémoire et l’oubli, entre la préhistoire et l’histoire, entre la culture et l’économie. En 1992, des dessins gravés il y a vingt mille ans sur les bords du Côa (un affluent du Douro situé au nord-est du Portugal, près de la frontière espagnole), ont été découverts par hasard par un fonctionnaire de l’Institut du patrimoine qui effectuait des relevés de routine là où un barrage hydroélectrique devait être érigé par EDP, l’entreprise responsable de la distribution de l’électricité au Portugal.
Une exploration approfondie des 17 kilomètres de la vallée permit de faire apparaître au grand jour le plus grand ensemble de gravures à l’air libre d’Europe, entre oliviers, vignes et amandiers. Sur les parois des roches schisteuses apparurent des chevaux, des aurochs, des cerfs, des bouquetins, avec les ventres exagérément renflés, les crinières très marquées, des parties du corps qui se répètent comme pour simuler un mouvement décomposé, et d’autres caractéristiques picturales qui indiquaient qu’il s’agissait de vestiges d’un art paléolithique. Un «Lascaux» portugais, à la seule différence que les pigments ont été effacés par le temps et par les intempéries.
Un dilemme se posât alors pour les élus locaux, pour les responsables de la société d’électricité et pour les membres du gouvernement : construire le barrage et ensevelir à jamais cette richesse archéologique ou bien cesser les travaux et renoncer aux retombées économiques (énergie, emplois) de la construction. L’opinion publique portugaise se passionnat pour l’affaire. Les journaux, les télés, la radio ne parlaient que de Foz Côa que personne ne situait sur la carte auparavant. La population était divisée. Les élections approchaient et l’art rupestre devint un argument de campagne. L’Unesco intervint et finalement ce grand débat national aboutit fort heureusement en faveur d’une décision d’abandon du barrage et d’ouverture du parc archéologique de la vallée du Côa.
Le musée archéologique du Côa a été inauguré le 30 juillet 2010 à Vila Nova de Foz Côa. Cette élégante réalisation en forme de blockhaus géant qui se fonde parfaitement dans le paysage et que l’on doit aux architectes Tiago Pimentel et Camilo Rebelo, est un véritable centre d’interprétation qui est chargé de faire découvrir les gravures rupestres situées dans la région. Il est composé de plusieurs grandes salles thématiques très modernes.
Le Musée du Côa propose également un circuit touristique-archéologique qui permet de visiter le site qui est devenu patrimoine mondial de l’Unesco en 1998. A bord d’un 4X4, un guide vous emmène par des pistes cahoteuses le long des boucles de la rivière à travers un décor saisissant fait de petites montagnes arides et pentues qui enserrent le Côa. Un voyage de remontée dans le temps qui nous projette 20 mille ans en arrière et qui nous fait découvrir un merveilleux spectacle qui vous laisse sans voix et qu’on regarde avec précaution de peur d’effacer ces symboles laissés en héritage par nos lointains ancêtres.
En plus du Musée, des agences de tourisme locales habilitées proposent également de faire connaître les différents sites archéologiques. J’ai fait la visite des gravures rupestres préhistoriques du site “Canada do Inferno” avec la très sympathique Sandra, de l’agence Memórias do Côa. Au cours d’une matinée baignée par un soleil de plomb (la région est la plus chaude du Portugal), elle nous a fait une visite guidée des gravures, en français, passionnante et très didactique. Les grands et les petits étaient ravis, et n’ont qu’une envie, celle de refaire la visite en nocturne ou en kayak.