Le photographe Gérald Bloncourt a été le témoin privilégié de l’immigration portugaise massive en France pendant les trente glorieuses. Ses splendides clichés en noir et blanc ont été exposés au Musée d’art contemporain de Lisbonne en 2008, et à la Cité Nationale de L’Histoire et de L’Immigration à Paris entre mai et juillet 2013 à l’occasion d’une exposition intitulée « Pour une vie meilleure ».
Pour mieux comprendre ce phénomène de société qui touchait des centaines de milliers de personnes, Gérald Bloncourt s’est rendu au Portugal, plus particulièrement dans le nord du pays. Là, le photographe a ramené des images qui montrent toute une région marquée par le dépeuplement et la misère. Puis il a fait le voyage avec les émigrés. Tout d’abord en train. De très belles photos ont immortalisé le flux ininterrompu de voyageurs emportant toute leur maison avec eux, des hommes et des femmes qui ont mis leurs plus beaux habits pour faire le grand saut vers « une vie meilleure ». Cinquante ans après, on voit des familles fourbues, désemparées, endormies sur leurs valises en carton, qui attendent le grand départ pour la France à la gare d’Hendaye, et l’arrivée comme une délivrance à Paris, à la gare d’Austerlitz.
Ensuite, Gérald Bloncourt a fait le chemin à pied, «a salto », avec les clandestins. Ce qui caractérise les grands photographes c’est aussi leur capacité à se fondre dans le décor, pour ne plus former qu’un avec lui, pour en tirer toute la beauté, toute la force et la vérité intrinsèque. C’est le sentiment que l’on a lorsqu’on voit tout d’abord le cliché pris dans les Pyrénées en mars 1965, des clandestins qui traversent la montagne à pied, le long d’un sentier de mulets.
Arrivés en France, les Immigrés Portugais n’étaient pas au bout de leurs peines, ni de leur souffrance. A travers de nombreux et très beaux clichés, le photographe nous offre un émouvant témoignage sur les conditions de vie au quotidien dans les grands bidonvilles de la région parisienne, à Champigny, à Aubervilliers, à Saint-Denis. On voit des hommes engoncés dans de pauvres habits partant travailler à l’aube, des femmes et des enfants désœuvrés qui attendent devant des baraques de fortune en bois et en tôle, des enfants insouciants jouant au milieu des bourbiers, des attroupements aux points d’eau, la vie forcée en plein air quel que soit le temps, les hommes qui retournent du travail à la tombée de la nuit, les repas dans les baraquements autour de gamelles en fer-blanc, la vie le dimanche comme au village, le coiffeur qui s’applique, un homme qui lit le journal avec sérieux, des jeunes qui plaisantent…
Gérald Bloncourt a également pris de très belles photos des Enfants d’immigrés. A l’école, en classe, dans la cour de récréation, dans les bourbiers des bidonvilles, afin de montrer ceux finalement pour qui ces hommes et ces femmes ont enduré tellement de souffrances, et forcé leur destin tragique, en pensant peut-être qu’ils auraient un futur plus radieux lorsqu’ils reviendraient dans le pays de leurs parents. C’était sans compter sur le rouleau compresseur de l’acculturation.
Cinquante ans après, si toutes ces belles images n’ont pas pris une ride, si elles sont tellement présentes, tellement poignantes, tellement actuelles, c’est parce que ce sont des instantanés qui ont su appréhender sans détours ce qu’était la vraie vie de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. C’est un cadeau d’une valeur inestimable que Gérald Bloncourt nous a fait, à nous Portugais, qui avons connu ce moment douloureux de notre histoire, mais aussi pour nos enfants, curieux de connaître tout ce que nous avons enduré pour leur offrir une vie meilleure…