C’est l’aube, l’homme s’accorde un instant sur le trajet quotidien qui le mène vers son bureau. Là sur le quai du port de Lisbonne, lentement son esprit divague, il largue les amarres, prend le large et fend l’océan d’une enivrante et inconnue liberté. Il rêve de s’extraire au monde, de quitter sa condition d’homme civilisé. Son corps se fait matière. La graisse et la rouille des pavillons s’infiltrent dans son sang, ses membres deviennent cordages, sa colonne s’allonge en mât, et son âme toute entière se fait proue. Tour à tour, il est marin, pirate, assassin, victime, bourreau. Il s’abandonne sans retenue à sa fièvre masochiste, vomit ses sensations au rythme enivrant d’une vie maritime fantasmée, sombrant dans l’insoutenable cruauté d’un monde chaotique. À mille mers de la réalité, reprendra-t-il le chemin de son ancienne vie, assise, statique et normée, réglée et corrigée. Arrivera-t-il à regagner son existence bureaucratique ?
Dans Ode Maritime, il y a la notion évidente de voyage, celle du départ, de la découverte, de l’envie d’ailleurs. Mais surtout l’envie de tout quitter de s’extraire du personnage, de cette figure sociale sage, bien-pensante, convenable et rassurante pour tous, mais parfois trop étroite et étouffante.
Ce voyage ici se fait par l’esprit, le rêve et le fantasme. Par la musique, la voix, la danse et la transe des corps, mais aussi par les silences et respirations, baignés dans la précision et l’éclatante douceur des lumières, nous souhaitons emmener chaque spectateur vers les tumultes enivrants de la poésie de Pessoa.
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