Herança (Héritage) s’inscrit tout naturellement dans la discographie de Lura après Di Korpu ku Alma (2004), M’Bem di Fora (2006) et Eclipse (2009), et la parenthèse Best of (2010) où elle interprète notamment “Moda Bô” en duo avec Cesaria Evora. Fruit d’un retour continuel à ses racines, ce nouvel opus nous plonge dans ce qui fait l’identité profonde de la chanteuse. Lura pénètre ici dans les coins les plus sublimes et sacrés du batuque et du funaná, ces rythmes typiquement capverdiens qu’elle porte vers l’universel.
Rien n’est dû au hasard dans ce disque. Le choix des thèmes ou celui des paroles s’inscrivent dans la lignée de la musique populaire de l’archipel. La chanteuse reprend trois thèmes classiques de la tradition capverdienne. Ressentir et chanter l’héritage de toute une nation permet à Lura de se réinventer et d’encore se bonifier. “Somada” composé par Kaka Barbosa est l’un des standards d’Ildo Lobo et de son groupe Os Tubaroes. “Sema Lopi”, une mélodie douce à en pleurer qui parle du destin de l’homme capverdien, acquiert ici une profondeur nouvelle par la voix suave de la chanteuse. “Ambienti Más Seletu”, composition de Zezé di Nha Reinalda (du groupe Finaçon) retrace la destinée du funaná, qui fut d’abord la musique des pauvres, des noirs et des arrière-cours à l’époque coloniale, avant de devenir le style emblématique de la culture de l’Île de Santiago. La chanteuse sait choisir les rythmes qui mettent en valeur ses qualités vocales. Elle emporte en tourbillons le funaná de “Ness Tempo di Nha Bidjissa” (composé par Tcheka) ou le volcanique “Sabi di Más”, et transforme en hymne le batuque de “Maria di Lida”, un hommage à la femme créole qui lutte du matin au soir et ne renonce jamais à la dignité pour sa famille et ses enfants. Sur ces tempos vifs et intenses, Lura porte toujours en elle les pleurs silencieux de chants très anciens, les secrets du batuque et la prière des rebelles.
Le caractère historique et la veine culturelle capverdienne quasi biographique que révèle l’album Herança sont intrinsèquement liés aux morceaux “Gorée”, “Herança” (une sublime production de Naná Vasconcelos), et “Cidade Velha”, composées par Mario Lúcio. Ces trois chansons à la poésie subtile nous racontent le voyage miraculeux du peuple capverdien, né au milieu de l’Atlantique d’un mélange de peuples, de cultures et de traditions, mais aussi de rêves, de divergences, de souffrance et d’espoir. Mario Lúcio, musicien, compositeur, poète, musicologue et actuel Ministre de la Culture de la République du Cabo Verde, est également auteur des titres “Mantenha Cudado” et “X da Questão” dans lesquels il nous dépeint le caractère spontané, malicieux et sensuel de l’homme capverdien.
Si Herança est un cadeau pour les oreilles de celui qui connaît le Cap-Vert et l’universalité de son âme, ce disque est aussi l’affirmation de la veine de compositrice de Lura. Avec “Sabi di Más”, Lura célèbre la saudade festive que l’on trouve dans les îles. Reprenant le vieux dilemme capverdien « vouloir rester mais devoir partir » et « vouloir partir mais devoir rester », ce morceau est aussi un hommage à Achada Falcão, la terre où est né le père de la chanteuse. Le très mélancolique “Di Undi Kin Bem” chante la plainte de l’exilé qui affirme son attachement à ses racines. Mais l’un des morceaux les plus attachants de l’album est “Barco de Papel”, une composition de Lura que Richard Bona a véritablement magnifiée. Jetée comme un pont entre les cultures, la chanson fait le lien avec le grand continent d’où le Cap-Vert a toujours tiré son rythme, son énergie, l’intelligence de son chant et l’universalité de son peuple. Entre la symbiose des voix et la symphonie d’émotions qui émanent de cette mélodie, c’est le plus bel hommage que Lura pouvait rendre à l’Afrique et à un monde qui recherche sans cesse la paix et l’harmonie. Autre forme d’héritage, le clin d’œil que fait Lura à la nouvelle génération, en reprenant “Nhu Santiagu”, une superbe composition d’Elida Almeida, la révélation 2015 de la musique capverdienne.
L’album Herança gagne en force et en universalité grâce à quatre grands noms des musiques du monde d’aujourd’hui, Toy Vieira, Hernani Almeida, Naná Vasconcelos et Richard Bona, qui ont signé les productions artistiques des différents thèmes de cet album. Toy Vieira fait le lien avec le travail antérieur de Lura. Hernani Almeida introduit le son et la vision que la nouvelle génération de musiciens-producteurs capverdiens porte sur la musique traditionnelle de l’archipel. Dans le thème “Herança”, Naná Vasconcelos parvient à créer une ambiance de vraie complicité entre le mysticisme de son univers créatif, la composition de Mario Lúcio et la voix puissante de Lura. Enfin, Richard Bona a produit le morceau “Barco de Papel” pour un duo d’âmes dont l’essence ne peut se trouver que dans la rencontre entre deux grands artistes. Herança est une invitation expresse à redécouvrir l’intensité du Cap-Vert, de son peuple, de ses traditions et de sa musique, à travers la voix la plus mélodieuse et charismatique de toute une génération d’interprètes capverdiens.