Photo de Gérald Bloncourt par ©Zoé Hibert
Il est des gens dont la rencontre vous laissent indifférent et d’autres qui vous rendent différent. C’est le cas de Gérald Bloncourt, un artiste dans tous les sens du mot. Peintre, graphiste, photographe, écrivain, poète, peu importe le support, ce qui compte c’est l’ouvrage bien fait, c’est l’émotion partagée, c’est le message délivré, c’est le sourire engendré, c’est la larme qui coule de votre âme touchée en plein dans le mille. Il y a longtemps que je rêvais de rencontrer le photographe de l’immigration portugaise dans les années 60, celui qui a su si bien montrer au grand jour la souffrance de centaines de milliers de personnes qui ont quitté leur pays clandestinement pour fuir la dictature, la guerre et la misère et qui se sont retrouvées embourbées dans les grands bidonvilles de la région parisienne. Ses photos font le tour du monde lusophone, d’exposition en exposition, de musée en musée, de pays en pays.
J’ai été accueilli par un homme simple, chaleureux, quelqu’un que j’avais l’impression de connaître depuis toujours, un ami que je n’avais pas vu depuis longtemps, un grand monsieur qui approche les 88 ans dont l’œuvre a pour dénominateur commun la révolte contre toutes les injustices qui frappent le monde. Ses poèmes, ses contes, ses sérigraphies, tout particulièrement celle qu’il a intitulée « la mémoire », ses clichés en noir et blanc, sont le résultat d’une volonté sans faille d’immortaliser la noirceur de la société, le regard inquiet de l’âme humaine, le dénuement qui nous enveloppe parfois, mais aussi la beauté intrinsèque des gens et des choses et la dérision derrière laquelle nous nous cachons.
Ce qui m’a le plus frappé chez Gérald Bloncourt, c’est la précision avec laquelle il parle de son travail, par exemple de sa base de donnée photographique qui comprend non moins que 200000 unités, qu’il a réalisée lui même et dont il m’a montré le fonctionnement avec fierté.
Ses recueils de photos, par exemple LE PARIS DE BLONCOURT, constituent la mémoire collective de la France d’après guerre. Ils contiennent des traces écrites de cette période glorieuse, comme tous ces portraits d’artistes renommés, et de grands écrivains, comme toutes les images saisies sur le vif de ces travailleurs venus d’ailleurs qui ont reconstruit la France.
Dans LE JOURNAL D’UN RÉVOLUTIONNAIRE, il raconte sa vie, sa naissance dans une petite maison en terre battue à Haïti en 1926, la pauvreté, sa prise de conscience politique, ses premières luttes, son exil forcé vers la France en 1946, ses nouveaux combats, son engagement social.
En 2015, sortira un livre intitulé L’ŒIL EN COLÈRE, dans lequel Gérald Bloncourt analyse avec recul son œuvre, plus précisément son écriture photographique, de l’argentique au numérique, et donne son point de vue sur l’évolution de la création artistique.
L’artiste m’a parlé de son activité débordante, de son blog, des milliers d’amis qui le suivent sur Facebook. Il m’a parlé de ses innombrables projets en cours, des biographies qu’il a écrites ou qu’il est en train d’écrire à l’occasion de la sortie des livres de la photographe Susana Alexandre, de l’historien Daniel Bastos, de la petite fille du bidonville Conceição Tina. Gérald m’a montré beaucoup de ses photographies préférées, dont un diaporama réalisé avec sa femme Isabelle, dont il parle avec amour, contenant 100 photos. Il m’a fait écouter un projet de CD dans lequel il lit ses poèmes accompagné par des improvisations au piano de Thierry Machuel.
Gérald Bloncourt a été le témoin privilégié de l’immigration portugaise dans les années 60. Tout a commencé lorsqu’il est allé prendre en photo les travailleurs immigrés portugais qui construisaient la Tour Montparnasse. Il a été frappé par la précision dont ils faisaient preuve, par la fierté et l’humilité de ces gens affables. Aussi, il a voulu voir où habitaient ces étrangers qui lui ressemblaient tellement, les descendants des grands navigateurs qui le faisaient tellement rêver. Sa surprise fut grande lorsqu’il arriva dans le bidonville de Champigny Sur Marne, et qu’il découvrit ces cabanes faites de brics et de brocs qui s’étendaient à perte de vue. Alors qu’il se promenait dans les allées boueuses du bidonville armé de son appareil photo, quatre Portugais sont venus vers lui et l’ont bousculé en lui demandant ce qu’il faisait là, le prenant pour un policier en civil ou un agent de la Pide, puis, ils l’ont conduit jusqu’au responsable qui se trouvait dans une baraque. Le chef du bidonville n’était autre qu’un syndicaliste de sa connaissance. Les hommes se sont assis et ils ont sorti une bouteille de porto qu’ils gardaient pour une grande occasion. Grâce à cette rencontre, le photographe a pu se déplacer librement dans le bidonville et prendre en photo des scènes de la vie quotidienne et des portraits saisissants des gens des baraques. Malgré leurs conditions de vie misérables, toutes ces personnes restaient dignes, soignaient leurs petites maisons comme s’il s’agissait de palais. Il a voulu montrer tout cela, pour que les autorités agissent, et pour protester contre le racisme dont ils étaient victimes. Le photographe, en colère contre cette injustice, s’est rendu au Portugal pour comprendre pourquoi ces centaines de milliers de personnes acceptaient leur sort sans rien dire et ce qui les avait amenés à quitter leur pays.
Au Portugal, il visita les bidonvilles de Lisbonne, les mêmes qu’en France, il alla dans les petits villages désertiques du nord du pays, où il ne restait plus que les vieux et les femmes. Il prit en photo toute la misère du Portugal, le dénuement social que la dictature cachait au reste du monde, la peur de la Pide, la police secrète tentaculaire qui avait des informateurs dans le moindre petit endroit du Portugal, qui se lisait dans les regards inquiets des gens. Puis, il rentra en France avec les pellicules photos cachées dans son dos. A l’aéroport, les douaniers saisirent les pellicules contenant des images « touristiques » qu’il avait volontairement laissées enveloppées dans du linge sale, mais pas celles accrochées à sa peau avec du sparadrap.
Il retourna plusieurs fois au Portugal pour mieux appréhender cette saignée de toute une population. Il fit la traversée des frontières clandestinement comme s’il était lui-même un émigré portugais. Tous ces témoignages bouleversants, toutes ces photographies en noir et blanc, devraient apparaître dans les manuels d’histoire du Portugal.
Et puis un beau jour, ce fut la révolution des œillets. Et, Gérald Bloncourt prit le même avion que les exilés politiques portugais qui se trouvaient en France. Tous chantèrent des chants libertaires en sautant sur leurs pieds, tellement fort qu’ils ont presque fait tomber l’avion. Arrivé au Portugal, ils furent accueillis par une foule en liesse. C’est dans les rues de Lisbonne en folie, qu’il prit des centaines de photos du Portugal libre. Il n’avait qu’à appuyer sur le déclencheur, tellement les scènes de joie, impensables il y a quelques jours seulement, étaient belles et historiques.
Gérald Bloncourt m’a montré également, avec beaucoup de fierté comme s’il s’agissait de sa propre fille, une photo de lui prise par Zoé Hibert, une étudiante en photographie de 21 ans, installée à Paris depuis peu, et qui a décidé de faire de la photo son métier il y a quelques mois, lorsque faire des photos lui était devenu indispensable.
Depuis l’acquisition de son premier appareil photo reflex en décembre 2013, elle ne peut pas passer plus de quelques jours sans faire de nouvelles photos.
La photographie qu’elle affectionne le plus est la photo de rue, plus précisément les portraits en noir et blanc, comme vous pourrez le voir sur sa page Facebook où elle poste régulièrement. Comme elle a l’habitude de dire, son inspiration lui vient des personnes qu’elle rencontre. C’est pour cette raison qu’elle parcourt les rues, afin de venir à la rencontre de « l’autre » qui est pour elle, une source inépuisable d’inspiration. Et c’est complètement par hasard qu’elle est tombée sur l’un des plus grands photographes de notre époque, sans le savoir, et qu’elle a immortalisé pour toujours ce sourire si doux d’honnête homme, d’homme juste et bon, d’homme libre, et ce regard si lumineux qu’on les grands artistes, les grands hommes.
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