Mon père est mort ici en France. Ce rêve qu’il avait comme tous les immigrés portugais de retourner au pays pour y finir ses jours, ne s’est pas réalisé pour lui. C’est pourquoi j’ai voulu lui rendre hommage à travers ce livre en racontant un peu de son histoire, son émigration clandestine, la vie dans le bidonville portugais du Franc-Moisin à Saint-Denis, l’arrivée de sa femme et de ses enfants. En m’appuyant sur des éléments autobiographiques et historiques, j’ai voulu écrire notre épopée familiale et, à travers elle, raconter l’histoire de l’immigration portugaise en général, notre histoire.
Mon père, dans un lit d’Hôpital, quelques mois avant de mourir, ici en France, sa terre d’accueil, m’a raconté sa traversée de la frontière entre le Portugal et l’Espagne. Son émigration clandestine vers la France. Il était avec un autre Portugais, issu du même village. Anacleto, le maçon, avec sa valise pleine d’outils. C’était l’hiver, il faisait nuit, et ils marchaient le long d’un chemin de montagne. En silence. Il ne fallait surtout pas faire de bruit. Mon père était habillé avec un long manteau, qui l’empêchait de marcher vite. Tout à coup, les gendarmes espagnols les ont vus et ont commencé à courir à leur poursuite. Anacleto, affolé, abandonna sa valise, « com a ferramenta » (avec les outils) et rebroussa son chemin. Quand il vit cela, mon père retourna chercher la valise de son ami. Elle était lourde et, avec la sienne, l’échappée devint plus compliquée, d’autant que son manteau le gênait. La guardia civil finit par l’attraper…
« J’ai le mal du pays. J’ai beau entendre parler notre langue autour de moi. J’ai beau lire les journaux portugais. J’ai beau manger comme au Portugal. Je ne suis pas au Portugal. Mon village me manque. L’absence de ma famille se fait sentir de plus en plus. Rien ne permet de remplir ce vide. Ni les pensées, ni les photos, ni les souvenirs. Pas même l’espoir de les revoir un jour. Ah la saudade de l’immigré ! A peine parti, on regrette déjà d’être parti. Mon pays semble déjà si lointain. Ma famille me manque déjà terriblement. Le temps passe. Inexorablement. Le vide s’installe en nous. Un vide que rien n’arrive à combler. Pas même le sourire sur une photo de ceux que j’aime. Pas même une chanson qui sonne comme à la maison. Pas même mes voisins d’infortune avec qui je parle dans ma langue maternelle comme si j’étais au pays. Mais je ne suis pas au pays. Je n’entends jamais vos rires. Je n’éponge jamais vos pleurs. Je ne suis rien sans vous. Je vous aime plus que tout et je ne peux pas vous le dire en face. Venez vite me rejoindre. »